Interview avec Barbara Josef, partenaire 5to9

«Le Change Management ne suffit pas»


La numérisation implique une réorganisation du travail et des hiérarchies. La New Work Transformation exige de repenser les approches. Barbara Josef présente les possibilités et les risques pour les entreprises.


Texte: Hansjörg Honegger, Images: Raphael Zubler, 25 octobre 2017




Barbara Josef, les entreprises ne doivent pas se contenter d’impulser la transformation numérique, ce qui est déjà suffisamment difficile. Elles doivent également mettre en œuvre la New Work Transformation. Est-ce un nouveau feu de paille?


(Elle rit) C’est une bonne formule et on a malheureusement parfois ce sentiment. Mais dans la New Work Transformation, tout comme dans la transformation numérique, ce qui prime, ce n’est pas tant la formule que le contenu. Que faut-il changer, quel est le bénéfice de l’approche agile, comment les clients perçoivent-ils les résultats pour eux? La question la plus importante est la suivante: comment pouvons-nous créer un changement qui soit authentique – pouvons-nous avancer sans perdre les collaborateurs?


Les processus de Change Management classiques ne sont-ils pas suffisants?


Non, notre précédente approche du Change Management est inadaptée. Jusqu’à présent, nous faisions passer l’organisation d’un état initial A connu à un état final B connu par la communication et les formations. Les changements en cours sont toutefois si profonds et complexes que tout le monde doit réfléchir et participer. C’est souvent en contradiction avec la culture de l’entreprise qui prévalait, qui accordait peu d’autonomie et de marge de manœuvre pour les collaborateurs.


Pouvez-vous expliquer brièvement de quoi il est question? Qu’entend-on précisément par New Work Transformation?


Nous parlons de flexibilité sous quatre formes. Dans de nombreuses entreprises, on n’en applique que deux, au maximum: Il s’agit d’une part de la flexibilité dans le temps. Je continue à mesurer le total des heures réalisées, mais je peux les répartir moi-même. La flexibilité dans l’espace est compréhensible, je peux la combiner avec la flexibilité dans le temps. Les deux autres formes nous préoccuperont encore plus, mais elles ne sont pas encore prises en compte.


De quoi s’agit-il?


La flexibilité structurelle: comment l’entreprise s’y prépare-t-elle? Est-il possible que certains départements fonctionnent par auto-organisation et d’autres pas? Le quatrième point concerne la flexibilité contractuelle. Beaucoup de personnes travaillent dans le cadre de mandats pour le compte de différentes sociétés et ne sont plus employées. Nous devons trouver des solutions qui soient acceptables socialement et qui ne marginalisent pas une partie des personnes. La New Work Transformation se caractérise donc par ces quatre facteurs.


Où faut-il intervenir pour changer quelque chose?


Pour simplifier, les trois leviers concernent les personnes, les espaces et les technologies. Pour les personnes, il s’agit de la culture de direction et de travail ainsi que des valeurs sous-jacentes. Pour les technologies, il s’agit des aides permettant de communiquer et de partager les connaissances. Les espaces sont en relation avec les infrastructures: de quels scénarios de travail disposons-nous pour les différentes activités et exigences – à l’intérieur et à l’extérieur de notre propre bureau?


Barbara Josef

Barbara Josef a été responsable de la communication et membre de la direction chez Microsoft Suisse de février 2008 à novembre 2015. À partir de juillet 2013, elle a également été responsable de l’engagement social. Elle a occupé auparavant divers postes dans les domaines du marketing et de la communication au sein d’Helsana et de Swiss International Airlines. Depuis janvier 2016, elle est la fondatrice et l’associée de la société de conseil 5to9.


« Toutefois, la déclaration d’intention consistant à thématiser et à modifier sérieusement les choses doit venir de la direction »


Barbara Josef, partenaire 5to9


La transformation numérique est souvent impulsée par l’informatique ou les besoins du métier. Qui doit impulser la New Work Transformation ou au moins la lancer?


Les technologies modernes permettent un mode de collaboration modifié et les jeunes générations la revendiquent aussi. Toutefois, la déclaration d’intention consistant à thématiser et à modifier sérieusement les choses doit venir de la direction. Au cours de la phase initiale de la transformation numérique, nous avons essayé de rendre l’existant plus rapide, meilleur et plus efficace. Au cours de la phase suivante, il s’agit de solutions, de scénarios et d’attitudes totalement inédits. La transformation doit être concertée tout aussi étroitement avec la stratégie et le développement de l’entreprise.


Ce n’est pas seulement l’affaire des ressources humaines?


La flexibilité, comme par exemple sur le temps de travail, concerne souvent les RH. Mais c’est une approche vouée à l’échec. Non pas parce que les responsables HR ne pourraient pas gérer cela, mais parce que cela envoie les mauvais signaux. Lorsque les responsables du personnel font avancer le thème, cela est souvent interprété comme une protection de groupes marginaux comme les femmes et les hommes ayant des enfants ou comme une option de bien-être. La flexibilisation n’est pas un gadget pour les collaborateurs. Ceci concerne plutôt le passage à une culture qui est plus marquée par la responsabilité personnelle – ce qui implique de pouvoir gérer les ruptures et l’insécurité qui y est associée.


Pourquoi?


Nous avons besoin d’un changement culturel aidant les collaborateurs à se remettre en selle. Ils doivent participer à la réflexion et ne pas être de simples exécutants.




Ces mutations sont souvent déclenchées involontairement: en mettant en place un outil de communication génial ou des bureaux open space, car cela est moins cher. Ensuite, on se trouve soudain confronté à la nécessité d’un changement culturel.


Oui, c’est aussi mon sentiment. La flexibilisation des temps de travail est dans l’air du temps et entraîne souvent une réorganisation de l’environnement du bureau. Il n’est pas rare que cela soit déclenché par les Facility-Manager. Le département informatique lui aussi a un rôle de déclencheur de changement avec la mise en place de nouveaux outils. Ces collaborateurs sont souvent frustrés après coup car les outils ne sont pas utilisés comme cela était prévu.


Aurait-il été préférable de faire l’inverse?


Oui, il faudrait se baser dans un premier temps sur la stratégie d’entreprise et sur la différenciation avec les concurrents pour remettre en question sa propre culture. C’est seulement après cela que l’on devrait parler de technologie et d’espaces.


Quel est l’avantage pour l’entreprise?


Je préfère poser la question suivante: comment l’entreprise et l’individu profitent-ils? En tant que chef, j’ai besoin de personnes satisfaites et motivées qui donnent le meilleur d’elles-mêmes. Ce sont ces collaborateurs qui font la différence aux instants décisifs et qui prennent l’initiative de participer à la réflexion. Ils devraient plus se sentir comme des entrepreneurs que comme des employés.


Il y a encore du chemin à faire pour y parvenir.


Non, ce n’est pas mon sentiment. La recherche montre clairement que les personnes qui bénéficient d’une avance de confiance rendent cette confiance avec un engagement très fort.


Mais cela n’a rien à voir avec la numérisation. J’aurais aimé avoir été traité ainsi dans les années 80.


C’est juste, beaucoup de choses viennent aujourd’hui avec la numérisation. Mais les nouvelles technologies offrent une autonomie bien plus importante. Nous sommes beaucoup plus mobiles et nous pouvons mieux partager nos connaissances.


«Il ne faut pas réfléchir longtemps en amont à quelles pourraient être les répercussions d’un changement mais il faut oser expérimenter à dimension humaine »


Barbara Josef, partenaire 5to9



Concrètement: la transformation culturelle exige du management de céder de l’influence et du pouvoir à tous les niveaux. Comment réussir ce changement de culture?


Le pouvoir et la perte de contrôle sont des thèmes centraux. Mais il faut faire attention à ne pas planifier le grand saut dès le début. Il convient dans un premier temps de rechercher des cellules dans l’entreprise, qui devraient travailler plus rapidement et de manière plus agile. Lors de la réorganisation de ces départements, il convient d’expérimenter, de tester des prototypes, sans avoir peur de rediscuter les décisions qui ont déjà été prises. Il ne faut pas réfléchir longtemps en amont à quelles pourraient être les répercussions d’un changement mais il faut oser expérimenter à dimension humaine. Il y a toujours suffisamment de volontaires qui ont envie du changement et qui ne le ressentent pas comme une menace. Cette approche permet, d’une part, d’apprendre plus vite et, d’autre part, de trouver quelle est l’acceptation d’une nouvelle idée ou ce qui doit être pris en compte concernant sa propre culture d’entreprise et ses valeurs.


Ces expériences peuvent-elles se diffuser dans le reste de l’entreprise?


Bien entendu, c’est l’enjeu. Le reste du personnel sent qu’il y a un changement – dans l’idéal un changement positif – sans être obligé de participer directement.


Que doit-on faire des personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas gérer les nouvelles conditions cadre?


Les changements font souvent remonter à la surface des problèmes qui préexistaient de toute façon. Par exemple, lorsque quelqu’un ne s’identifie plus depuis longtemps avec une organisation et ne voit pas le sens de son travail. Ces personnes avaient de toute façon besoin d’être suivies, ne serait-ce que dans l’intérêt des autres membres de l’équipe. Il ne faut pas rechercher absolument les causes de la résistance. Dans le Change Management classique, l’objectif est souvent que le changement se passe de manière fluide, la plus efficace possible et sans résistance. C’est une erreur à mon avis.


Pourquoi? L’efficacité, c’est important


La résistance protège souvent quelque chose d’important. Il s’agit de se demander ce qui mérite d’être protégé. Ce qui est intéressant c’est que ce sont généralement des aspects non monétaires: des valeurs, des rituels et des traditions. C’est pourquoi il convient de mettre en avant la question des valeurs communes dans chaque processus de transformation. Sur quoi avons-nous jusqu’ici été performants? Qu’est-ce qui relie notre équipe? Que voulons-nous conserver avec le changement?




Au final, toute cette discussion est assez élitiste. La majorité des collaborateurs n’en profitera pas.


Ce n’est pas mon sentiment. Tous peuvent profiter d’un traitement d’égal à égal et de plus d’autonomie dans l’organisation du travail. L’autonomie est un énorme moteur pour la motivation – indépendamment du contenu exact du travail. Bien entendu, une partie des changements cités concerne au premier chef le travail intellectuel. Mais cela ne concerne pas une minorité. En Suisse, 43% des 5,4 millions de personnes actives ont une activité intellectuelle. Nous sommes en tête à l’échelle mondiale. Cette branche, qui connaît une croissance annuelle de près de 20% en matière d’emplois, aura à l’avenir une importance encore plus forte pour notre économie. Il est donc bénéfique de réfléchir à dépasser le thème du «Home Office».


Le point central dans tout ce processus, c’est finalement le département des ressources humaines. Les professionnels HR en sont-ils conscients?


La plupart des responsables HR sont plutôt des «Care Taker» que des moteurs pour l’innovation. Ils sont donc souvent impliqués très tardivement dans la discussion, ce qui est bien dommage. Les responsables HR devraient se repositionner: ils devraient conseiller activement les supérieurs hiérarchiques et accompagner les processus de changement. Ceci, avec le concours de la communauté active et en gérant les relations, constituera à l’avenir la principale justification de l’existence des ressources humaines. Tout le reste pourra être automatisé ou externalisé.


Donnez-moi pour terminer trois conseils concrets sur la manière dont un chef d’entreprise peut aborder la New Work Transformation.


Pour commencer, la stratégie devrait être associée à la discussion sur les valeurs: quelle culture et quelle attitude nous permettent d’aller dans la direction souhaitée? Concernant l’approche à appliquer, l’action est préférable à la théorie et ceci permet ainsi de faire ses premières expériences. Ces champs d’apprentissage ne devraient pas être créés artificiellement – le plus motivant et le plus pertinent, c’est généralement de faire travailler ensemble plusieurs équipes qui se confrontent à de véritables défis. Le troisième point consiste à examiner les signaux qui sont envoyés explicitement et implicitement dans une organisation et à vérifier s’ils vont dans le sens de la réalisation de l’image visée ou s’ils s’y opposent. Il ne s’agit pas tant du comportement des cadres mais aussi des collaborateurs entre eux.


L’expérience montre que la discussion sur les valeurs donne lieu à un modèle avec dix maximes quelque peu poussiéreuses. Nous en avons tous déjà fait l’expérience. Comment empêcher cela?


D’une part, en élaborant des valeurs de manière participative et, d’autre part, en les mettant en œuvre de manière conséquente afin de les rendre vivantes. Par exemple, lorsqu’une entreprise revendique des qualités d’ouverture et de curiosité, cela a des incidences sur les locaux, sur les technologies utilisées et sur les systèmes de direction et d’incitation. Dans l’idéal, les valeurs n’ont pas à être communiquées de manière spectaculaire mais elles doivent fonder toutes les décisions et les options prises. Last but not least, c’est aussi la seule manière efficace de gérer la perte de contrôle. Les valeurs partagées et vécues prennent le dessus sur les règles figées, qui étouffent la moindre responsabilité personnelle et motivation.







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